L’arbre cosmique #1 Origine et chamanisme
Introduction
Depuis 750 millions d’années, l’arbre règne en colosse sur Terre. Sur l’horloge de l’existence de notre planète, il naquit dans les dernières heures et nous, humains, dans les dernières secondes. Et l’humanité n’existerait probablement plus sans l’arbre. Son bois alimente le feu qui nous réchauffe, nous éclaire, repousse les prédateurs et cuit notre nourriture, tout comme l’arbre nous nourrit en nous offrant ses fruits, les champignons qui poussent à son pied et la faune qu’il abrite. On en tire autant d’outils que d’armes, de matériaux de construction, d’abri, de support d’écriture que de véhicules et tant d’autres utilisations.
Il revêt aussi un aspect sentimental, on y dresse les cabanes de notre jeunesse, y gravons nos premières amours, y suspendons les balançoires de nos enfants et on sombre dans nos rêves à l’ombre fraîche de ses ramures. Il représente le merveilleux, hors du temps, hors de l’espace, une bulle de nature ancestrale et protectrice comme le serait une divinité primordiale paternelle ou maternelle.
Outre ses propriétés matérielles et sentimentales, il représente aussi une dimension temporelle. L’arbre symbolise tantôt renouveau et renaissance, mourant à l’hiver pour renaître au printemps, tantôt immortalité quand il est immuablement vert et florissant. Il nourrit, abreuve et accueille aussi la faune que ce soit les oiseaux, les primates, les rongeurs ou les insectes. Ces animaux y donnent naissance, puis à leur mort ils nourrissent l’arbre qui nourrira à son tour leur descendants. L’arbre est donc une représentation microcosmique du cycle de la vie et par extension du monde du vivant.
Il est aussi symbole des temps anciens, de la force de la nature primordiale et de ses bienfaits. Un arbre peut accompagner la vie d’un homme voire de plusieurs générations. Il s’ancre ainsi dans un quotidien et dans la continuité, repère remarquable, immuable et rassurant.
C’est peut être pourquoi l’homme cherche à rattacher son histoire à celle de l’arbre, à s’enraciner. Ce dernier se voit alors anthropomorphisé, ses pieds ancrés dans le sol et sa tête tutoyant les cieux, étant même par la suite divinisé.
De fait, les arbres sont considérés par certains comme les gardiens de notre planète et l’intermédiaire entre humain et divin, mortalité et immortalité et le médium permettant d’y accéder.
Son aspect de titan, par sa taille et sa longévité, pourrait renvoyer aux premiers âges mythologiques et aux mythes des géants originels. Les arbres pourraient ainsi en être le reliquat : ils seraient alors des titans pétrifiés, des dieux endormis ou l’expression même du divin dans son ensemble. Leur taille entre aussi dans la conception de la dimension verticale ce qui en fait un moyen d’atteindre le royaume céleste souvent demeure des dieux – un rôle que revêtent également la montagne de la création, les pyramides, les temples et tout autres constructions cultuelles verticales.
Puis quand l’arbre n’est plus seul, il est un bois sacré, une forêt enchanteresse ou menaçante, un lieu de refuge ou d’exclusion, le terrain des druides, des parias et des malfrats prompt ainsi à devenir celui de la faune mythologique sylvestre des elfes, fées et gnomes, le berceau des légendes arthuriennes, celtiques, nordiques, indiennes ou amérindiennes, le théâtre des contes et légendes ainsi que la résidence des esprits de l’animisme et du panthéisme. L’arbre jalonne alors ces récits comme il jalonne nos campagnes, s’ancrant dans des concepts cosmologiques, théologiques et philosophiques.
En effet, dans sa nature même, il éveille dans l’esprit du faible et mortel humain un sentiment de grandeur et de majesté qui le dépasse, lui et sa fragile condition. L’arbre appartient alors au domaine du sacré, on le vénère, le divinise, parfois, et on lui rend des cultes, souvent. C’est ce qui amène Nell Parrot à penser qu’« il n’y a pas de culte de l’arbre en lui-même ; sous cette figuration se cache toujours une entité spirituelle ». Puis on y taille les idoles religieuses et les sarcophages ou cercueils de nos défunts. Car on ne retourne pas à la terre, mais bien à l’arbre.
L’arbre est un symbole entre tradition sociétale et voyage mystique, entre le matériel et le spirituel. Dans son utilité, sa symbolique ou sa sacralité, il a toujours accompagné l’humanité. C’est donc tout naturellement qu’il occupe la place centrale dans certaines cosmogonies, mythes de création, qui le considèrent à l’origine de l’univers, le soutenant ou le contenant, renfermant par extension tout le vivant ainsi que le divin. Il devient, selon nos ancêtres, la représentation et la constitution même de l’univers et son organisateur. Il est alors arbre cosmique.
Et si pour certains la destinée de l’homme est liée à celle de l’arbre, les récits mythologiques semblent en accord avec cette vision et Michel Boccara, chercheur au CNRS, d’affirmer que « la pensée mythique précède la pensée humaine et lui sert de fondement… L’arbre est pour elle, l’ancêtre de l’homme ».
Dans les temps précédant le domptage de la nature par l’homme pour son seul profit et l’industrialisation, l’humanité concevait des mythes qui la disposaient à la place qui était la sienne au sein de la nature et de son cycle. Ces mythes étaient, et restent probablement, la conceptualisation humaine la plus réaliste de l’environnement, sans la science ni le progrès qui donnent à l’homme une trop grande importance. L’humanité perdit ensuite « la science d’habiter le monde ».
Nous allons tout au long de cette série de vidéos nous intéresser aux différents motifs, thèmes et récits constitutifs de ce que Patrice Lajoye appelle « la figure mythologique de l’arbre cosmique » et ce dans l’ensemble des mythologies au travers de vidéos traitant des thèmes particuliers de l’arbre de vie et de sagesse, des cinq arbres originels ou encore de la pendaison ritualisée à l’arbre cosmique.
Dans cette première vidéo nous allons tout d’abord nous intéresser au chamanisme, probablement première « religion » de l’humanité au sein de laquelle apparaîtrait ce motif de l’arbre cosmique.
Ensuite, en nous appuyant sur l’ethnologie comparée, nous tenterons de reconstruire le rituel chamanique lié à l’arbre cosmique.
Et finalement,nous chercherons à déterminer les origines de ce mythe, qui paraît universel au premier abord, et à comprendre sa diffusion dans des régions si éloignées les unes des autres.
Cette longue étude à pour but de démontrer, outre l’apport du chamanisme, que ce motif, présent dans des mythes sur tous les continents, représente l’idée d’une origine commune des mythes majeurs, qui se diffusent lors des migrations de l’humanité, une diffusion facilitée par une pensée humaine qui conceptualise ce qu’elle voit pour l’adapter à ce qu’ elle ne comprend pas.
Suivez-nous dans l’ascension de l’arbre cosmique au gré des contes et des mythes chamaniques pour mieux comprendre l’humanité et son rapport au divin.
- L’arbre et le chaman
1.1. Définition de l’arbre cosmique
Il convient tout d’abord de définir la figure mythologique de l’arbre cosmique ainsi que les mythes qui y sont rattachés et qui se composent de plusieurs éléments récurrents, des mythèmes pour reprendre l’expression de C. Lévi-Strauss :
– L’arbre cosmique est axis mundi, c’est-à-dire axe central autour duquel tourne l’univers, gravitent les astres et s’organisent le vivant ainsi que la communauté. En tant que centre sacré de l’univers, il est aussi origine de la vie et souvent du divin lui-même. On le retrouve ainsi dans de nombreuses cosmogonies et c’est pourquoi Stith Thompson, dans sa classification des motifs mythologiques, le répertorie parmi les mythes de création sous la référence A652. En tant qu‘axis mundi il peut être un arbre ou sa représentation sous forme de poteau, de bâton, de totem, de colonne ou, dans une terminologie plus générale, d’un pilier sacré. Et c’est aussi à ce pilier que les dieux attachent leurs chevaux.
– Il est aussi arbre du monde, lien entre les trois mondes superposés qui constituent l’univers conceptualisé dans le chamanisme : le monde du dessus, céleste, le monde médian, terrestre, et enfin le monde souterrain. Il contient ainsi les astres, le cosmos, l’ensemble du vivant et du matériel tout autant que l’au-delà et ses esprits. Cette conception tripartite peut aussi être comprise comme le royaume des esprits ou des dieux, celui des vivants et celui des morts. Il s’agit des royaumes du divin, du matériel et du spirituel ou encore plus tardivement paradis, terre et enfer. Les trois mondes chamaniques seraient possiblement à l’origine de nombreuses conceptions de triades divines, chaque dieu gouvernant son monde comme la fratrie grecque Zeus /Poséidon/Hadès par exemple.
– L’arbre cosmique s’inscrit ainsi dans toutes les dimensions, centrale et verticale comme nous venons de le voir, mais aussi horizontale – ses racines, ses branches ou les cours d’eau qui naissent à sa base rejoignent les quatre points cardinaux et s’étendent aux confins de la terre. L’arbre cosmique revêt cette même dimension dans la motif particulier des cinq arbres, l’un au centre sacré et les quatre autres aux points cardinaux.
– Le motif de l’arbre cosmique comporte aussi une dimension temporelle par son caractère de renaissance et d’immortalité. Car il est aussi arbre de vie, tout comme arbre de sagesse menant à l’autre monde, prodiguant vie et connaissance absolue.
– Enfin d’autres motifs et mythèmes sont souvent observés : un oiseau mythique niche à son sommet et un reptile guette à ses racines, il est la résidence de la Grande déesse, ou du dieu créateur qui s’y substitue, il est lié au cheval ou à la course du soleil (souvent confondus), trois femmes prophétisent dans son ombre, il est lieu de majesté et de justice. Parfois même l’arbre du monde est multiple, on retrouve ainsi deux voire trois arbres dans les mythes, un dans chacun des trois mondes ou un sur Terre et un autre dans le monde céleste ou infernal, chacun des arbres étant souvent l’émanation d’un seul et même arbre, l’arbre cosmique. Nous retrouverons tous ces motifs tout au long de cette série de vidéos.
Il apparaît donc que les caractéristiques fondamentales de cette figure mythologique de l’arbre cosmique soient d’ordre cosmogonique. Comme le souligne Mircéa Eliade : « dans nombre de traditions archaïques, l’Arbre Cosmique, exprimant la sacralité même du monde, sa fécondité et sa pérennité, se trouve en relation avec les idées de création, de fertilité et d’initiation, en dernière instance avec l’idée de la réalité absolue et de l’immortalité. »
Mais il paraît crucial de préciser que les appellations « Arbre cosmique » et « arbre du monde » sont des termes modernes non employés par ceux vénérant cette figure mythologique. Seul le terme d’arbre de vie se retrouve dans la littérature antique. De même que le terme « religion », controversé, sert ici à mieux appréhender les mythes et rites symboliques mis en pratique par le représentant d’un même peuple ou d’une même culture.
1.2. L’arbre cosmique et le chamanisme
Si l’arbre cosmique sert à rallier les 3 mondes conceptualisés dans le chamanisme, il convient de nous intéresser à ce que certains nomment la première religion du monde, ou plus exactement la première culture symbolique.
Le chamanisme est une conception du monde en trois niveaux, le supérieur céleste, le médian terrestre et l’inférieur souterrain, correspondant aux mondes ouranien, terrestre et chtonien. Cette culture symbolique, pour ne pas dire “religion”, se définit principalement par le rôle de son acteur central, le chaman, qui est le seul à pouvoir voyager entre ces mondes. L’anthropologue Manvir Singh décrit cette fonction comme étant la première profession de l’humanité, intermédiaire entre le monde des hommes et celui des esprits. Le chaman, terme d’origine toungouse en Sibérie, est alors chef de la communauté régissant le rite et le quotidien.
Qu’il soit nommé medecine man chez les Amérindiens, angakok chez les Inuits, sikerei chez les hommes-fleurs Mentawai d’Indonésie, ou qu’il soit l’ancêtre des druides et des sorciers, il est coiffé d’une tête de rennes ou de cornes et est vêtu d’habits confectionnés à partir de divers animaux. Parfois, ses vêtements sont ceux de femmes et il agit selon un comportement féminin. On interprète ceci comme la volonté de réunir les énergies mâle et femelle pour ainsi incarner un pouvoir plus complet. C’est ce qui fait penser à Jacques Brosse qu’il y aurait une mention du chamanisme chez les peuples germains dans les écrits de Tacite (De origine et situ germaniae, XLIII) : « chez les Naharvales on montre un bois consacré dès longtemps [sic] par la religion. Le soin du culte est remis à un prêtre qui porte des vêtements de femme. » De plus, certains chercheurs démontrent l’asexualité ou la bisexualité rituelle du chaman.
Le chaman entre en transe extatique pour voyager dans cet autre monde afin d’y demander assistance, prédiction, guérison et conseils aux esprits, que ces derniers soient bons ou mauvais. Parfois un esprit auxiliaire, lié au chaman, peut se fondre en lui ou le suivre à son retour dans le monde des humains pour le servir ou y combattre les mauvais esprits.
Pour mieux comprendre ces phénomènes et le rôle de l’arbre cosmique au sein du chamanisme, on peut s’appuyer sur des travaux ethnologiques auprès de populations nord asiatiques contemporaines.
- Ethnologie comparée
Les composantes du chamanisme semblent se retrouver dans de nombreuses cultures. Mais on observe tout de même des variations dans les mythes, traditions et croyances selon les peuples, les cultures, les régions et les époques. C’est pourquoi on pourrait parler de « chamanismes » au pluriel comme l’indique Jane Monning Atkinson. On peut cependant en dégager les composantes récurrentes fondamentales que nous avons évoquées et qui semblent avoir perduré.
La dernière version du chamanisme, actuellement pratiquée chez certains peuples et qui nous reste accessible, n’est probablement pas très éloignée de l’originale. Elle fait intervenir l’arbre cosmique qui relie les trois mondes. Mais nous ne savons pas si ce motif était présent lors du supposé chamanisme paléolithique.
Pour mieux comprendre les rites chamaniques originels liés à l’arbre on peut s’appuyer sur les études ethnologiques comparées auprès des tribus actuelles pratiquant le chamanisme, leurs pratiques ayant probablement peu évolué. Souvent ces tribus de référence n’ont pas connu de forte influence de civilisations, cultures et religions étrangères ou le cas échéant ont tout de même su conserver l’empreinte originale du chamanisme et par extension du motif de l’arbre cosmique. Il est donc naturel de se tourner vers le foyer supposé du chamanisme qui semble avoir le mieux conservé l’intégrité des mythes premiers, l’Asie centrale et septentrionale, et ce afin d’étudier les croyances qui y perdurent.
2.1. Bouriates
Ainsi Mircéa Eliade nous relaye le rite initiatique d’un nouveau chaman, un бөө (böö), dans le peuple des bouriates de la région du lac Baïkal. Souvent le futur chaman présente des prédispositions durant l’enfance et, par son comportement étrange, il est considéré comme élu par les esprits et doit alors entreprendre l’initiation pour éviter de perdre la raison ou la vie. L’initié, qui a suivi l’instruction d’un chaman aguerri nommé son « chaman-père », est d’abord purifié à l’aide d’une sorte de balai fait de rameaux de bouleau et qui est enduit du tarasun, une mixture à base d’eau, d’herbes, d’aromates ainsi que du sang et de poils d’un bouc tué pour l’occasion. A noter que le bouleau est l’arbre le plus sacré pour la majorité des chamans d’Asie centrale et septentrionale et qu’il est dans la croyance et le rite la représentation de l’arbre cosmique.
Le chaman-père invoque ensuite les esprits-gardiens des ancêtres et leur offre des libations de tarasun. Peu après cette cérémonie préparatoire a lieu une procession menée par le chaman-père et ses assistants nommés les fils. Ils recueillent ainsi des offrandes. Puis dans certaines tribus, le chaman-père, les neuf fils et l’initié jeûnent pendant neuf jours dans leurs tentes.
Le chiffre neuf, sacré quand il concerne l’arbre cosmique, symbolise les plans célestes. Il est présent dans les pratiques et croyances des peuples de toute la Sibérie mais aussi au-delà, comme chez les peuples altaïques turco-mongoles, en Scandinavie, en Inde ou en Chine, lieux où l’arbre cosmique est aussi présent. Un chiffre, vous le constaterez, omniprésent dans les cultes et les mythes de ces aires.
Ensuite, la veille de la cérémonie d’initiation, le chaman-père et ses neuf subordonnés se rendent dans la forêt où sont inhumés les ancêtres du village, y déracinent et y coupent des bouleaux, arbres sacrés qui contiennent l’esprit des mêmes ancêtres. A la suite de quoi ils plantent ces troncs selon un ordre précis. Parmi eux, trois arbres déracinés sont replantés dans l’aire cérémonielle puis sont couverts de rubans et oints du tarasun. Trois groupes de neuf autres bouleaux sont destinés à recueillir les dépouilles des animaux sacrifiés.
Le plus grand des bouleaux déracinés est disposé quant à lui au centre de la yourte du futur chaman avec ses racines dans l’âtre et son tronc qui traverse l’ouverture centrale d’évacuation des fumées. Cet arbre lui servira de porte vers l’autre monde, d’où son nom udeši-burkhan le « gardien de la porte » une représentation de l’arbre cosmique sur terre.
Tous ces arbres, celui de la yourte inclus, sont alors reliés par deux rubans, un rouge et un bleu, représentant, selon M. Eliade, l’arc en ciel symbole du chemin vers le ciel, demeure des esprits et des dieux. S’en vient alors la consécration des instruments chamaniques, tambours et baguettes, suivie des offrandes aux esprits et aux ancêtres invoqués ainsi que des sacrifices. Dans certains cas, le chaman-père grimpe en haut de l’arbre traversant la yourte pour invoquer l’assistance des esprits. Et souvent un cheval blanc est sacrifié lors de la cérémonie. Le cheval servant de monture au chaman dans l’autre-monde. Nous le verrons aussi, cet animal est souvent présent dans les mythes chamaniques de l’arbre cosmique.
Puis le chaman-père grimpe à un des trois bouleaux replantés dans l’aire cérémonielle, nouvelle représentation de l’arbre cosmique, et il y taille neuf incisions à son sommet, symbole des mondes célestes menant au dernier, celui de Baï-Ulgän le démiurge. Une fois descendu, c’est au tour de l’initié de grimper et de commencer ses incantations extatiques. Parfois l’initié, porté par les neuf fils, tourne neuf fois autour des bouleaux, parfois c’est le chaman-père. Ce rituel de tourner autour de l’arbre cosmique se retrouve également chez les peuples mongols de nos jours comme nous allons bientôt le constater.
On retrouve ainsi ce chiffre neuf tout au long des rituels chamaniques, que ce soit le nombre des fils, des arbres, des tours effectués, des jours de jeûne, des coupes rituelles, des animaux sacrifiés et de leurs bourreaux sacrificateurs, etc. D’autres fois, moins souvent, il s’agira du chiffre sept qui prendra cette sacralité. Il représente les sept cieux planétaires mésopotamiens, issus de leur compréhension des sept planètes. Ceci donnera probablement naissance aux sept cieux des mystiques juives et chrétiennes, ainsi que dans l’islam (sourate 2 verset 29 et chapitre islam).
Ensuite une fois les cieux, représentés par les entailles, gravis un à un, le chaman s’entretient avec le dieu protecteur, ici Baï Ulgän, pour obtenir ses bonnes grâces. Enfin une fois tout ceci accompli, l’initié élu des esprits devient chaman, leur interlocuteur.
A noter qu’à chaque niveau le chaman s’entretient avec un personnage mythique, puis aux sixième et septième niveaux avec respectivement la lune et le soleil. Ceci semble coïncider avec l’astrologie mésopotamienne et le concept des sept cieux planétaires dont les deux derniers, le sixième et le septième, sont lune et soleil. Ainsi pourrait-on envisager que ce concept du chiffre astral sacré trouve son origine chez les Mésopotamiens, et ait été enrichi chez les Sibériens.
Le choix du bouleau, considéré comme arbre cosmique chez les sibériens au détriment du sapin pourtant de plus grande taille et d’une plus grande longévité, pourrait provenir de son aspect : son écorce blanche, qui s’éclaircit plus on approche du sommet, est souvent associée au soleil ou à la lune, ce qui coïncide avec les deux derniers mondes. De plus, l’amanite tue-mouche, champignon consommé par le chaman pour entrer en transe, est très souvent présente à ses racines.
Ainsi l’arbre cosmique, symbolisé ici par le bouleau, était et reste central dans la vie du chaman sibérien et plus généralement d’Asie centrale et septentrionale. On en retrouve des représentations sur son tambour cérémoniel confectionné dans le même bois, ainsi qu’en répliques à l’intérieur et devant sa yourte, comme nous l’explique toujours Mircéa Eliade. Le pilier central de celle-ci, d’ailleurs, ferait office d’axis mundi du microcosme de l’habitat comme de l’univers. Cette même symbolique de l’arbre cosmique, sous forme de poteau, de bâton, de colonne comme ici de tronc replanté, définit le concept du pilier du monde.
Le mythe de l’arbre cosmique, par sa forte symbolique d’échelle mystique, s’exprime par un culte qui consiste à mettre en pratique cette vision.
2.2. Seleng
Les chamans de toute la Mongolie et même d’au-delà, perpétuent ce mythe en se regroupant à Seleng Aimag lors de festivités autour de l’Arbre Mère “Eej Mod”. L’appellation d’Arbre Mère n’est pas anodine car le culte de l’arbre cosmique est intimement lié, parfois même confondu, avec celui de la déesse mère, la mater magna, la Grande déesse ou tout autre nom que revêt la divinité primordiale de la fécondité, de la renaissance et de la nature. Nous l’étudierons lorsque nous aborderons l’arbre de vie dans une future vidéo.
Lors du festival de Seleng des morceaux de tissus, principalement bleus, sont attachés à l’arbre comme chez les Bouriates. Puis les chamans mongols en font le tour tout en jetant en offrande des haricots, du lait ou de la vodka et ce au son des tambours cérémoniels et des prières. Il semble que le rituel de tourner autour de cet arbre, représentant l’arbre cosmique, soit lui aussi répandu et rejoint la course des chamans bouriates autour de l’arbre. Lors de ces rituels les chamans mongols disent voler ou léviter. Ceci peut aisément s’expliquer par la grande quantité de vodka ingurgitée et les effets de leur course en rond autour de l’arbre au rythme transcendantal des tambours. Puis ils s’écroulent et entrent alors en communication avec le monde des esprits pour obtenir d’eux des faveurs. Il n’est pas rapporté s’ils grimpent à l’arbre mais ici l’ascension est directement celle de l’esprit emporté dans la cime de l’arbre par le tourbillon de la course donc nul besoin d’y grimper physiquement.
Si nous venons de voir par le prisme de l’ethnologie comparée l’initiation et le rite archaïques probables, voyons maintenant ce que vivrait le chaman une fois l’autre monde atteint.
2.3. Voyage chamanique
Pour cela nous nous basons sur des propos recueillis par l’ethnologue Andreï Popov auprès d’un chaman nommé Huottarie du peuple Avam-Samoyède de Sibérie.
Celui-ci, atteint par la petite vérole, plongea dans l’inconscience durant trois jours. Pendant ce laps de temps, il dit avoir voyagé dans l’autre monde. Son périple mystique débute dans l’océan primordial, puis il gravit une montagne au sommet de laquelle il découvre la dame de l’eau, la déesse mère qui le nourrit en lui donnant le sein. Puis vient son époux, le seigneur des Enfers, qui lui offre deux esprits auxiliaires sous forme animale pour le guider dans la suite de son voyage dans le monde souterrain. Là, il découvre sept tentes habitées par les seigneurs des maladies et les morts qui y ont succombé. Ils lui révèlent les maladies et comment les soigner. Puis, après s’être fait arracher le cœur, il pénètre dans le monde des chamans qui le fortifient et le mènent aux neuf mers. Au milieu de l’une d’elles, se trouve une île et, en son centre, s’élève, jusqu’aux cieux, un jeune arbre, un bouleau, l’arbre du seigneur de la Terre. Autour de lui poussent neuf herbes à l’origine de toutes les plantes de la Terre dont il apprend les vertus médicinales. Et au sommet de l’arbre se trouvent les ancêtres des peuples sibériens parmi lesquels les Samoyèdes, les Toungouses ou les Yakoutes. Puis il reçoit des mains du seigneur de la terre, à demi sorti du tronc de l’arbre, un rameau de son bois afin que l’initié y confectionne un tambour. Puis il repart en volant et il rencontre sept pierres magiques, deux femmes à la fourrure de rennes et bien d’autres péripéties jusqu’à ce qu’un forgeron, au cœur d’une montagne, ne le décapite, le coupe en morceau et le mette à cuire. Puis il lui confectionne un nouveau corps de chair et lui forge une tête, l’homme est mort et ressuscite en chaman. Désormais, dans cet autre monde, il verra avec son regard mystique et non plus celui de chair. Ensuite il se réveille dans notre monde et peut dès lors chamaniser, enrichi qu’il est par les connaissances et les secrets acquis.
Cet exemple est caractéristique de l’extase initiatique des chamans sibériens et plus généralement asiatiques et amérindiens comportant l’ensemble des thèmes et intervenants que l’on retrouve de manière quasi systématique dans les mythes.
En effet, nous le verrons dans la prochaine vidéo, son récit est aussi proche du récit cosmogonique, dans lequel le chaman se substitue au premier homme. Dans le récit que nous venons de voir on retrouve les marqueurs forts que sont les chiffres sept et neuf, chiffres sacrés de l’arbre cosmique, la déesse primordiale qui nourrit de son lait, l’arbre cosmique au sommet de la montagne au centre d’une île, les instruments du chaman taillés dans le bois de l’arbre, etc.
Cependant, il est fort possible que le chaman n’ait pas vécu cette expérience mais qu’il répète un mythe appris par cœur, les étapes symboliques franchies par chaque chaman. Sans doute cela s’appuie-t-il sur des mythes fondateurs qui se retrouvent dans la zone originelle du chamanisme mais aussi dans d’autres où il se diffuse.
Souvent dans la tradition chamanique le chaman grimpe à l’arbre cosmique afin de rallier le monde des esprits. Comment se fait-il que ce motif et les mythes auxquels il donne naissance se retrouvent sur l’ensemble de la planète dans des aires éloignées et des cultures n’ayant eu aucun contact entre elles ? Nait-t-il de représentations mentales universelles de la pensée humaine, de l’empirisme issu des évolutions techniques et sociétales ou bien n’aurait-il pour origine qu’un seul mythe qui aurait muté selon les régions ?
3. Origine de l’arbre cosmique
Même si on ne sait pas quand apparaît cette figure mythologique ni réellement où, on sait cependant qu’elle est probablement une composante du chamanisme, ou qu’elle le devient comme l’affirme Jörg Bäcker : « toutes les variantes de l’arbre cosmique sont à relier à une origine chamanique. » Il paraît donc essentiel de s’intéresser à l’origine de cette culture symbolique.
3.1. Chamanisme
3.1.1. Un chamanisme au Paléolithique supérieur ?
Si l’on en croit des historiens, anthropologues et ethnologues à la suite de Mircéa Eliade, le chamanisme naîtrait en Asie septentrionale et centrale, grossièrement la Sibérie actuelle et le monde altaïque turco-mongol. Certains préhistoriens comme Matthew Rossano ou Jean Clottes et des anthropologue comme David Lewis-Williams dateraient son origine au Paléolithique supérieur (entre 45000 et 12000 AP) en s’appuyant sur l’interprétation de l’art pariétal. En effet, si l’on ne connaît pas le rôle des dessins pariétaux, certains y verront la reproduction des visions chamaniques. Les esprits d’animaux et les formes géométriques dites entoptiques issus des visions se retrouveraient alors concrétisés par des dessins sur les parois de ces cavernes, portes vers l’autre monde. Pour l’anthropologue David Lewis-Williams le chaman représenterait alors le chasseur visitant l’esprit du gibier, d’où l’aspect animal des esprits. C’est ainsi que certains feront hâtivement le lien entre art pariétal et chamanisme. Mais si cette hypothèse est très contestée, elle pourrait être envisagée mais simplement pour une partie des figurations.
D’autres chercheurs à l’instar de Michel Lorblanchet ou Jean-Loïc Le Quellec, plus prudents, ne se prononcent pas sur l’origine paléolithique du chamanisme estimant qu’aucune preuve solide le permettrait.
3.1.2. Les sources
Nous n’avons aucune source écrite sur le chamanisme avant le Haut Moyen Âge et celles-ci traitent principalement des traditions celtes ou scandinaves, qui semblent avoir été influencées par le christianisme et donc ne pas refléter le chamanisme originel. Pire, ces textes n’émanent pas des peuples chamaniques mais d’autres les côtoyant comme les récits romains mentionnant les celtes de l’Antiquité.
Pour mieux comprendre le chamanisme, les spécialistes s’appuient sur la tradition orale de régions qui l’ont bien conservé et sur des travaux ethnologiques, anthropologiques et de mythologie comparée – l’archéologie et l’épigraphie n’étant que d’un faible secours. Il faut garder en tête que les mythes de l’arbre cosmique que nous allons évoquer dans cette série sont soit héritiers de plus anciens, soit reconstitués par la recherche scientifique.
- Les plus anciennes traces du motif de l’arbre cosmique
Tout d’abord voici ce que nous savons de ce motif et des mythes qui lui sont liés. Nous ne possédons aucune représentation dans les dessins pariétaux du Paléolithique supérieur. Même si en chipotant on pouvait déceler une forte ressemblance entre les signes dits tectiformes et un arbre stylisé, certains y voient plutôt une habitation et quoi qu’il en soit cette représentation est très localisée donc ne répond pas à notre répartition globale. Mais ce n’est pas parce que nous n’avons pas de trace de l’arbre cosmique au Paléolithique qu’il n’était pas présent.
En termes archéologiques, la plus ancienne représentation possible de l’arbre cosmique à ce jour se trouverait sur une céramique provenant du site funnéraire de Lannec er Gadouer à Erdeven dans le Morbihan et daterait du Ve millénaire AEC. L’archéologue Serge Cassen compare ce symbole ç d’autres représentations, que ce soit sur une assiette du peuple hopi d’amérique du nord ou au dos d’une poupée Ashanti du Ghana mais aussi au tambour des chamans altaique. Ainsi une struture commune se dégage d’un espace divisé en deux. Dans la partie supérieur le ciel avec les astres notamment soleil et lune et dans la partie inférieur le monde souterrain avec les animaux, surement sous forme d’esprit, la présence des serpens et parfois d’un ou de plusieurs hommes pouvant être assimilés au chaman. Ces deux espace sont séparé par une ligne épaisse qui serait la terre, le monde médian. Et parfois, au centre, l’arbre cosmique ou ce à quoi on le rapproche que ce soit sous la forme d’un rameau, d’un arbre identifiable ou un d’un arbre stylisé. Parfois il s’agit d’une crosse. Pour celle-ci Serge Cassen y voit un symbole religieux, probablement de la divinité ou de son représentant terrestre. Un concept qui aurait pu évoluer se substituant à l’arbre.
Mais plus sûrement, ce serait l’arbre sacré mésopotamien retrouvé en gravure sur les temples ou sur des seaux dès les IIIe millénaire AEC, d’autant que c’est en Mésopotamie que l’on trouve les plus anciens mythes rédigés, notamment de l’Épopée de Gilgamesh datée du début du IIe millénaire AEC.
Ce symbole de l’arbre sacré se retrouve également dans d’autres civilisations au travers de figurations proche de celles mésopotamiennes.
Le problème majeur est que nous ne possédons que très peu de mythes écrits concernant l’arbre cosmique datant de l’Antiquité – et quand il est dans le cadre du chamanisme c’est encore plus tardif, les récits de la tradition orale n’ayant été mis par écrit qu’au Moyen Âge pour les scandinaves, germaniques ou celtiques et jusqu’au XIXe-XXe s. pour les Sibériens. De plus, il faut ajouter à cela l’influence chrétienne sur la mutation de ces mythes par rapport à ceux d’origine. Quoi qu’il en soit nous pouvons dresser une carte de l’implantation de la figure mythologique de l’arbre cosmique, toutes périodes confondues.
(carte répartition)
3.3. Universalité ?
On observe ce motif au sein de mythes présents sur l’ensemble du globe avec une moindre importance en Afrique.
Cependant, si l’on constate une présence globale, elle n’est pas uniforme, ce qui écarte d’emblée l’universalité de la représentation au travers d’archétypes chers à Carl Jung. Sinon le motif se retrouverait partout et de façon identique. En effet, pour expliquer cette globalisation du mythe, certaines études comme celles de Carl Jung expliquent que si l’on retrouve des mythes similaires dans des régions éloignées, ce serait dû à des représentations mentales universelles inconscientes communes à toute l’humanité. En d’autres termes nous serions tous pré-programmés pour concevoir certains phénomènes ou situations, ceci reposerait notamment sur la psychiatrie et des modèles de fonctionnement neurologiques et psychologiques. De là à concevoir que l’être humain soit conçu pour croire, il n’y a qu’un pas qu’il ne faudrait pas franchir comme le font les neuro-théologiens. Je vous invite à consulter notre vidéo sur les croyances du cerveau.Mais l’hypothèse des archétypes reste en l’état et demeure fortement obsolète et critiquée. Cependant on pourrait parler d’observation ou d’empirisme qui serait à l’origine de concepts simples.
On pourrait ainsi concevoir que ces phénomènes seraient de l’ordre de la déduction ou de l’intuitif. On pourrait alors rapprocher cela par exemple de la détection d’agent qui est à l’origine de la paréidolie qui nous fait voir des visages dans des motifs chaotiques afin de prévenir l’agression possible d’un prédateur. Pour l’arbre cela découlerait de ses caractéristiques. Il est grand, donc atteint les cieux, ses racines plongent profondément dans la terre, donc atteignent les enfers, il est un microcosme de vie, donc origine de celle ci, semble mourir en hiver et renaître au printemps, donc symbole de renaissance, il nous prodigue tout ce dont nous avons besoin, donc il est comme un dieu ou une mère pour nous.
Or, si ces théories étaient valables, alors le motif universel de l’arbre cosmique serait présent uniformément sur l’ensemble du globe, ce qui n’est pas le cas. De même que les mythèmes constitutifs des mythes contenant l’arbre cosmique ne sont pas identiques selon les différentes aires où ils apparaissent.
En effet, la théorie de C. Jung se heurte aux détails, similaires dans les mythes de certaines régions ou absents dans d’autres. Comme le lien de l’arbre au cheval, à la course du soleil, au duo de l’oiseau fabuleux à son sommet et du reptile néfaste à sa base, le lien au lait, à la déesse mère, au tambour du chaman, etc. Et qui plus est, certaines de ses composantes ne paraissent pas intuitives.
Et c’est grâce à ce même constat que l’on peut écarter l’hypothèse du hasard qui voudrait au contraire que ce mythe émerge indépendamment dans des zones éloignées, encore une fois détails et localisations contredisent ce postulat.
On peut ainsi dire que la figure mythologique de l’arbre cosmique n’est ni une représentation mentale ni une émergence hasardeuse mais plutôt une construction empirique née de l’observation dans un seul foyer originel, ce qui facilitera son acceptation et sa diffusion.
3.4. L’hypothèse d’une seule origine
C’est ce qui amène des chercheurs en ethnographie et anthropologie à envisager une origine commune et ancienne pour ces mythes que l’on retrouve dans des régions éloignées. Le mythe de l’arbre cosmique mésopotamien, le scandinave, le sibérien, l’indien ou le maya seraient alors héritiers d’un unique motif lié à un mythe archaïque.
Les récentes études, notamment celles de Jean-Loïc Le Quellec, de Julien d’Huy ou de Yuri Berezkin, invitent à reconsidérer la vision systémique de plusieurs origines pour le motif qui se diffuserait par contact ou qui émergerait dans les diverses aires de peuplement. Tout comme elles contredisent l’universalité et le hasard. Leurs recherches tendent en effet à démontrer que les mythes ont souvent une seule origine et qu’ils suivent les migrations de l’homme moderne pour se diffuser dans d’autres régions. Puis ces mythes y muteraient ou disparaîtraient pour certains, et il n’est pas exclu que d’autres récits viennent se greffer aux anciens, les complétant ou s’y confondant.
Ainsi naîtraient les écomythes, variantes d’un même mythe selon que celui qui le transmet apporte modifications ou omissions.
Cette vision généalogique des mythes amène Julien d’Huy à concevoir les mythes comme « des organismes vivants dont les humains seraient les agents de diffusion ». Et c’est pourquoi on étudie ces mythes par le biais de la phylogénétique, méthode initialement réservée aux plantes, qui sert à remonter l’ascendance génétique pour en déterminer l’origine et l’expansion.
Et Julien d’Huy de conclure que « les ressemblances structurelles et narratives entre certains mythes complexes s’expliqueraient par une ascendance commune plutôt que par la convergence d’inventions indépendantes. »
Ces travaux basés sur les modèles statistiques et l’aréologie, qui est la pratique servant à étudier la répartition géographique des mythes, s’appuient aussi sur les travaux antérieurs de Claude Lévi-Strauss, Georges Dumézil ou Bernard Sergent qui ont su orienter l’étude des mythes vers une conception structuraliste.
3.4.1 Répartition du motif
Dans notre cas, il faudrait donc répertorier tous les mythes de l’arbre cosmique, ainsi que les mythèmes les constituant. Puis il faudrait comparer leur répartition grâce à l’aréologie, leurs similitudes et divergences avec la mythologie comparée et ainsi dresser des tableaux et cartes de diffusion possible. Nous n’avons pas pu fournir ce travail colossal mais avons tout de même dressé un panorama sommaire de cette figure mythologique.
L’arbre cosmique en tant qu’axis mundi, arbre du monde et arbre de vie se retrouve en Europe occidentale, grossièrement dans le monde celtique, dans l’aire germano-scandinave, gréco-romaine, slave, puis au Proche-Orient (de l’Anatolie à l’Egypte, en passant par la Mésopotamie et le Levant), ainsi que dans l’aire indo-iranienne, tout comme en Asie centrale et septentrionale, soit dans le monde altaïque turco-mongol, en Sibérie et en Chine, mais aussi en Asie du Sud-Est et en Océanie maorie, et enfin en Amérique du Nord, centrale et du Sud. On retrouve aussi quelques mythes en Afrique, notamment à l’Ouest chez les Sérères du Sénégal, de la Gambie et de la Mauritanie.
Nous avons ainsi les foyers principaux d’expression de la figure mythologique et des mythes qui l’expriment, là où il y est raconté ou là où on y trouve des traces. Quelle est donc la raison de cette répartition mondiale ? Et pourquoi l’Afrique semble si peu pourvu de ce motif ?
Si l’on en croit Julien d’Huy ou J.-L. Le Quellec, les mythes suivraient les migrations des hommes. Il suffirait alors de déterminer les routes qu’Homo Sapiens emprunta afin de concevoir un schéma d’expansion et ainsi l’origine. Si ce motif a une seule origine et se diffuse en créant des variantes et des écomythes alors, quel pourrait-être ce point d’origine et de dispersion ?
Il semblerait qu’il s’agisse des premiers foyers de peuplement de l’homme moderne, à savoir l’Afrique puis le Proche-Orient durant le Paléolithique supérieur.
Pour l’Afrique, on ne retrouve pas de mythe significatif proche de l’arbre cosmique et il apparaît même que le chamanisme y soit absent. On peut donc écarter ce foyer comme origine du motif. Alors qu’aux Proche et Moyen Orient ce mythe est bien présent, de l’Egypte à l’Anatolie, en passant par la Mésopotamie, ainsi que du Levant jusqu’en Iran.
Ceci expliquerait donc la force des mythes et des rites de l’arbre cosmique dans ce foyer de peuplement, car ils remonteraient au début de la conceptualisation symbolique que certains nomment à tort religion.
Ainsi il apparaît évident que si le mythe originel répondait à des composantes géographiques, temporelles voire sociétales du Proche-Orient ancien, il mute ensuite selon que ces variables diffèrent dans d’autres régions, ce qui expliquerait les différentes versions observées.
De plus le constat est sans appel, si l’on suit cette hypothèse, le postulat faisant de l’Asie centrale et septentrionale le point d’origine et de diffusion du chamanisme et du mythe de l’arbre cosmique qui lui est associé ne tient plus.
En effet, si l’on accepte cette position, alors des peuples de ces régions asiatiques auraient dû se déplacer au Paléolithique vers le Proche-Orient, alors que c’est l’inverse. En effet, en nous basant sur les informations que nous possédons actuellement, on ne peut conclure à la seule diffusion du chamanisme depuis l’Asie septentrionale, en particulier la Sibérie, que vers l’Amérique du Nord via le détroit de Bering aux alentours de 15 000 AEC. On le sait grâce à la génétique qui nous apprend que les populations amérindiennes, des Algonquins du Québec aux Yaghans de la Terre de Feu, en passant par les Mayas-Kaqchiquel du Guatemala, sont originaires d’une vague de migration provenant de Sibérie ou du même foyer que ceux de Sibérie.
L’Asie centrale et septentrionale ne serait donc pas le berceau du chamanisme et de l’arbre cosmique mais un des foyers de diffusion. Cela remet donc en cause des visions linéaires comme celles de Mircea Eliade qui ne tenait pas compte de l’aréologie et de l’approche phylogénétique en mythologie comparée.
On pourrait ainsi conclure que le motif de l’arbre cosmique, originaire du Proche-Orient au Paléolithique supérieur, est bien implanté dans les carrefours migratoires d’Homo Sapiens, ce qui en ferait des foyers de diffusion par la suite, diluant progressivement le mythe originel.
Mais il y a un problème, et de taille ! Au Paléolithique supérieur, lors des premières grandes migrations, nous sommes en période glacière, les paysages de l’hémisphère nord se résument à des glaciers, la toundra – des grandes steppes couvertes de mousses et de lichen et à la taïga – avec très peu d’arbres sinon de petites taille parmi lesquels quelques résineux et des bouleaux nains, même si l’on a découvert des refuges d’arbres, peu nombreux. Comment peut-on considérer que dans un tel environnement, l’arbre cosmique ait pu survivre ?
En effet, l’hypothèse d’une seule origine au Proche-Orient durant le Paléolithique supérieur voudrait qu’il y ait des arbres de grande taille dans les aires de peuplement où se retrouve la figure mythologique de l’arbre cosmique durant cette période. Or nous connaissons bien l’histoire du couvert forestier du continent européen et c’est loin d’être le cas.
3.4.2. L’arbre en Europe paléolithique
Le macroécologiste et biogéographe Jens-Christian Svenning estime que durant la période glaciaire du Pléistocène supérieur période géologique entre 126 000 et 11700 A.P. les arbres ne persistaient en Europe que dans l’extrême sud méditerranéen.
C’est à la fin de cette période géologique que se place le Paléolithique supérieur des chasseurs-collecteurs nomades de 45000 à 12000 ans AP.
Puis lors du réchauffement de l’Holocène, à partir de 11 700 AP, l’arbre aurait progressivement, et de manière rapide, reconquis les régions vers le Nord.
L’archéobotanie révèle en effet que ce serait autour de 10 000 avant le présent qu’en Europe se produisit cette reconquête et que se seraient développées les forêts de conifères. Les résineux et le bouleaux de la taïga auraient ainsi cédé la place, entre le soixantième parallèle (Oslo-Leningrad) et le quarantième (Bordeaux-Belgrade), à une immense forêt d’arbres feuillus : l’orme, le pin, le noisetier, le tilleul et surtout le chêne qui forment la très vaste « chênaie mixte », qui s’étend de la chaîne de l’Oural à l’océan Atlantique.
Par exemple au large de Norfolk en Angleterre fut découverte une forêt d’arbres fossilisés engloutis probablement à la suite d’un tsunami. Parmi eux des chênes, encore dotés de branches longues de plusieurs mètres. Ces arbres furent datés du VIIIe millénaire AEC par Julian Andrew de l’Université d’East-Anglia.
Michel Barbaza quant à lui avance que ce serait durant la période dite du Mésolithique (qui correspond au début de l’Holocène) que l’arbre aurait acquis sa sacralité comme en attesterait certaines représentations hyper anthropomorphiques et arboriformes à Villabruna dans les Alpes italiennes. Mais il ne s’agit là que d’interprétations et de subjectivité.
Donc si le mythe de l’arbre cosmique, présent en Europe, provenait de la migration depuis le Proche-Orient à partir d’environ 45 000 AP, cela voudrait dire que le motif de l’arbre cosmique et ses mythes auraient perduré au moins 35000 ans dans une région dépourvue de grands arbres. Cela remettrait en question la théorie d’une diffusion de cette figure mythologique au Paléolithique supérieur.
Il faut prendre en compte qu’au Paléolithique supérieur l’homme était face à l’animal qu’il chassait dans la steppe, souvent des troupeaux de rennes. Et ce n’est qu’au sortir des glaciations, au Mésolithique que les arbres s’immisceraient dans le paysage.
3.4.3. Du Paléolithique au Néolithique au Proche-Orient
Concernant le Proche-Orient, comme le souligne le préhistorien Olivier Aurenche, les changements climatiques auraient influencé l’évolution des pratiques et des comportements de l’humanité. Ainsi ce serait au sortir de la dernière période glaciaire avec ses deux phases de réchauffement, durant lesquelles apparaît la culture du Natoufien (14500 et 11500 avant le présent) et la phase d’amélioration climatique de l’Holocène qui lui succède, qu’émergerait ce que le chercheur nomme le « proto Néolithique » et que nous avons appelé jusque là le Mésolithique.
Et ce serait durant ces deux périodes du proto-néolithique 1 (14500-12200 A.P.) et du proto néolithique 2 (12200-10300 A.P. ) que l’homme moderne se serait sédentarisé.
En s’appuyant sur les fouilles du village de Jerf el Ahmar, en Syrie, on peut déterminer l’évolution dans cette région vers la néolithisation. Sont construites, durant la première période, des maisons de pierre rondes à la charpente en bois organisées en petit hameau puis, dans la seconde période, des maisons de pierre rectangulaires à la lourde charpente organisées en village autour de constructions communautaires. Et qui dit charpente en bois, dit arbre.
Cette période est également caractérisée par l’utilisation de flèches, la présence de figurines comme celles d’animaux ou de femmes. D’ailleurs sur l’une de ces représentations on pourrait distinguer le motif de l’arbre cosmique avec la présence d’un oiseau, de serpent et de ce qui pourrait etre une plante.
Durant cette meme période du proto neolithique 2 on observe les débuts de tentatives de domestications d’animaux et de plantes.
L’apparition des flèches nous intéresse particulièrement car ces dernières, plus adaptées dans des zones boisées, remplacent la sagaie utilisée pour chasser des troupeaux d’animaux dans les steppes dégagées de l’ère glaciaire..
Et c’est par la suite au Néolithique daté par Olivier Aurenche de 10300-6500 ans AP que se mettent en place élevage et agriculture.
Les arbres étaient donc bien présents durant le Néolithique il y a au moins 12000 ans au Proche-Orient, les maisons rondes étant dotées d’une lourde charpente de bois et les glands des chênes étant déjà consommés par exemple. Olivier Aurenche rajoute qu’il existait des forêts claires de chênes à cette période.
Le constat est donc simple. Si le motif de l’arbre cosmique provient du Proche-Orient il ne peut y émerger qu’au Néolithique il y a environ 12000 ans. De là il se serait diffusé vers l’Europe par la migration des populations proche-orientales y entraînant la néothilisation. entre le VIIe et le Ve millénaire AEC. Ces nouvelles populations remplacent progressivement les populations autochtones. Mais cela n’explique pas la présence du motif dans les autres aires du globe.
3.5. Néolithique, l’hypothèse sociétale de l’apparition de l’arbre cosmique
Le Néolithique se définit entre autres par la pratique de l’agriculture, de l’élevage, la sédentarisation et la céramique… Mais il semble que c’est surtout durant le premier stade de l’Holocène (11700-8200 AP), qui correspond grossièrement aux débuts du Néolithique proche-oriental (10300-7900 ans AP), que le réchauffement climatique est propice à l’arbre au niveau mondial. Ce climat tempéré qui voit l’émergence du chêne, du pin, du noisetier ou encore du hêtre. Certains chercheurs y voient une corrélation, estimant que la sacralité glissa en partie de l’animal vers l’arbre.
C’est le cas de Roberte Hamayon qui pense en effet que la conceptualisation de l’arbre cosmique au sein du chamanisme est liée au mode de subsistance. Quand l’homme était chasseur-collecteur il semblerait que sa conception du monde était horizontale, les animaux sauvages dotés d’un esprit étaient perçus alors comme étant l’égal des hommes ce qui rejoindrait le constat que fait Lewis-Williams sur le chaman-chasseur et l’esprit-gibier. Puis après la maîtrise de l’élevage, l’animal aurait perdu ce statut égalitaire et sa sacralité, devenant simple bétail et l’homme se serait alors tourné vers un concept vertical et un culte des ancêtres.
Et c’est probablement à cette même époque que les sacrifices d’animaux se développèrent.
Mais contrairement à cette vision de deux chamanismes successifs défendue par Roberte Hamayon ou Françoise Aubin, Charles Stépanoff lui énonce ceci :
« Je n’ai pas connaissance d’une tradition chamanique en Sibérie dans laquelle les chamanes n’auraient de rapport qu’avec des animaux et aucun avec des ancêtres ou au contraire dans laquelle seuls les ancêtres seraient invoqués sans aucun emprunt à la zoosémiotique.” Il explique que des peuples de chasseurs comme les Nganassanes, les Evenks, les Téléoutes ou les Selkoupes possédaient pourtant des chamans grimpant à l’arbre du monde ou à un poteau. Donc une dimension verticale pour des chasseurs vénérant toujours les animaux et semble-t-il les ancêtres.
Et l’anthropologue Michael Harner renchérit en affirmant que la division de l’univers en trois royaumes supérieur, terrestre et inférieur reliés par l’arbre cosmique, caractérisé alors d’arbre du monde, serait une figure mythologique qui ne serait pas née d’une évolution sociétale.
3.6. Modèle de diffusion globale
Une fois les populations néolithiques venues d’Anatolie établies en Inde, en Europe centrale, occidentale et septentrionale, s’y développent progressivement des cultures matérielles différentes (poterie, sépulture). Elles auraient l’arbre cosmique dans leurs mythes qui se serait à son tour diffusé dans les autres régions lors de migrations ou de conquêtes. Un de ces peuples aurait alors pris le dessus, c’est l’hypothèse Indo-européenne qui se base plutôt sur la linguistique et des marqueurs matériels. Cette hypothèse soutient qu’un peuple, assimilé à la culture matérielle des kurgans/kourganes, originaire des steppes du nord de la Mer Noire, aurait conquis ces espaces y répandant leur culture, langue et religion.
Une autre hypothèse s’en rapprochant s’appuye sur des études génétiques et explique cette expansion depuis le foyer des steppes pontique-caspienne d’où la culture Yamna émerge qu IVe millenairese. Ces cavaliers nomades pratiquant le pastoralisme se seraient étendus au cours du IIIe millénaire vers la steppe eurasienne de l’Asie centrale jusqu’en Chine, puis vers l’Asie septentrionale et le sud de la Sibérie ainsi que et Inde.
Mais également en europe moitié du IIIe millénaire AEC.
En définitives toutes les aires européenne et asiatiques où le motif de l’arbre cosmique est présent.
Quoi qu’il en soit, qu’il s’agissent d’Indo Européens ou de la culture yamna, ces peuples descendent de ceux venus d’Anatolie apportant les technique du Néolithique et probablement l’arbre cosmique.
Il paraît compliqué de dresser avec certitude un shéma d’expansion et de diffusion du motif mythologique qui aurait suivi celle des hommes du Néolithique. Néanmoins un modèle peut )etre émis à partir de tout ce que nous venons d’aborder.
En résumé voici le modèle de peuplement par migration de l’homme moderne qu’aurait pu accompagner chamanisme et arbre cosmique. Après sa sortie d’Afrique Homo sapiens s’installe vers 100000 avant le présent au Proche-Orient. De là diverses migrations s’opèrent, la première depuis la péninsule arabique vers l’est Asiatiaque atteignant l’inde 70000 ans avant le présent et le plateau eurasien au nord 55000 ans avant le présent. Puis l’Océanie 50000 avant le présent et la Chine 40000 avant le présent.
A l’ouest depuis le foyer proche orientale l’homme moderne migre vers les Steppes eurasiennes pontique-caspiennes au nord ouest de la Mer Noire 45000 ans avant le présent. De là il s’étend jusqu’en Europe occidentale et septentrionale 40000 ans avant le présent.
A l’est depuis le foyer chinois, des populations se déplacent vers la Sibérie et le continent américain via le détroit de Behring. De ce foyer de peuplement chinois, dont nous avons des traces archéologiques grâce notamment à un squelette fossile d’homo sapiens retrouvé dans la caverne de Tanyuan en Chine, s’opère dans un premier temps le peuplement d’Asie septentrional il y a 25000 ans AP et dans un second celui d’Amérique du nord entre 30000 et 15000 ans AP. Cependant il ne semble pas que la migration vers l’Amérique du nord se fasse directement depuis un foyer en Sibérie comme certains le pensent mais via le foyer de peuplement chinois qui est leur origine commune.
Mais comme nous l’avons vu et l’observons sur la carte, l’hémisphère nord est recouvert du nord au sud : de glaciers, toundra et taïga impropres aux grands arbres, même si des refuges existent ils semblent peu nombreux pour que le motif se perpétue. On ne peut donc envisager que la figure mythologique ne peut persister que dans le foyer Proche oriental, en Asie du sud est et en Océanie. On peut alors imaginer que chamanisme et arbre cosmique se diffusèrent depuis le foyer chinois vers l’Amérique en les conservant autour de 15000 avant le présent. C’est la seule raison qui nous est connue expliquant la présence du chamanisme et de la figure mythologique de l’arbre cosmique aux Amériques si l’on exclut l’archétype de Jung ou l’émergence du motif liée à la néolithisation.
Ce ne serait que bien plus tard que la figure mythologique de l’arbre cosmique émergerait en Europe et en Asie lors du Néolithique. Chamanisme et motif auraient perduré au Proche-Orient et c’est de là qu’une vague de nouvelles migrations apportant la néolithisation déferle sur l’Europe et l’Asie à partir de 10 000 avant notre ère. Les nouveaux arrivants imposent alors autant leur technique que leur culture et croyance. Puis au IVe millénaire émerge la culture yamna dans les steppes pontique-caspienne. De la ces peuples s’étendraient sur l’Europe occidentale, centrale, orientale et septentrionale, l’Asie centrale et septentrionale ainsi que le sous continent indien. C’est à dire toutes les zones où l’on retrouve trace du chamanisme et des mythologies et du motif de l’arbre cosmique. C’est ce modèle de plusieurs vagues migratoires, aux vues de nos connaissances actuelles, qui nous semble le plus probant et réaliste.
Conclusion
L’arbre, qui devient cosmique de manière empirique, apparaît dans les mythes de création du chamanisme comme concept cosmogonique et cosmologique d’union des trois mondes envisagé par cette religion. Il est le centre du monde et de l’univers, origine de la vie, symbole d’immortalité et de renaissance, c’est un microcosme représentant la nature et le vivant. Ce motif mythologique semble trouver son origine au Proche-Orient, pour se diffuser globalement au Néolithique. Cette conclusion hypothétique naît de l’aréologie, de la phylogénétique des mythes, des traces archéologiques et génétiques ainsi que d’un peu de bon sens. Puis lors des migrations ce mythe aurait plus ou moins muté selon la géographie, l’évolution technique et sociétale dans les aires d’implantation ce qui aboutirait à des variantes gravitant autour de constantes symboliques fortes. C’est un motif au cœur de mythes faits d’un tronc aux multiples ramifications.
Si l’on en croit Roberte Hamayon, la fin de la sacralité de l’animal naîtrait de l’évolution vers l’élevage. Ainsi en serait-il de même pour l’arbre, chutant de son rôle cosmogonique et cosmologique par sa surconsommation. Car il ne nous est plus essentiel dans nos sociétés industrialisées où le transformé supplante le naturel. On bâtit en béton et en métal, utilisons l’électricité, pratiquons élevage et cultures intensifs…
Aujourd’hui, l’homme a désacralisé ce qui le surpassait, ce qui lui était essentiel, ce avec quoi il vivait en harmonie lorsqu’il protégeait les richesses de l’arbre et ce pour sa survie. Pour au final en faire un produit de consommation de masse pour le seul bénéfice de son désir. L’anthropocentrisme est né des religions théistes pour lesquelles l’homme est le centre de la création et son aboutissement, celui qui domine tout, le reste n’étant que ses auxiliaires, devenant de fait lui-même axis mundi. Plus besoin de médium pour atteindre le divin, il y accède directement grâce à sa promiscuité avec dieu qui l’habite même parfois. Il se substitue à l’arbre cosmique absorbant alors ses motifs fondamentaux.
L’homme faisait partie d’un tout sans le surpasser ni le dominer. Seul l’arbre cosmique tutoyait le divin l’homme ne pouvant l’atteindre sans son aide. Mais l’homme gonflé par son orgueil ne peut se satisfaire de sa condition, victorieux sur le sauvage ayant apprivoisé son environnement il se croit au dessus de tout, il est seul réceptacle du sacré, rien ne le surpasse si ce n’est Dieu, sa création, qu’il sert pour qu’il soit à son tour servi.
Si l’homme tua dieu comme l’énonce frederic Nietsch, ce fut en coupant l’arbre. Il abattit ainsi ce lien qui le reliait au divin, à sa première expression, cet empreinte d’un passé sauvage où seules les lois de la nature dictaient les comportements humains. L’arbre cosmique revêtait ainsi une myriades de concepts philosophiques et symboliques, et désormais n’en est que le reliquat.
Dans la prochaine vidéo nous étudierons l’expression de ce motif dans les mythologies des foyers de peuplement ayant conservé une part du mythe originel que ce soit de façon plus flagrante en Sibérie ou plus diffuse en Europe occidentale.
De nos jour la prise de conscience écologique est une des origines du renouveau du chamanisme, une recherche des premières croyances non parasitées qui s’exprimaient en harmonie avec la nature, pour chercher à reconnecter l’humain avec le divin de la nature. Mais nul besoin d’être croyant pour s’émerveiller devant l’arbre. Il suffit juste de l’observer pour se sentir apaisé et retrouver la place qu’est la nôtre face à ce colosse souvent centenaire, centre de l’écosystème et poumon de la planète. Sans l’humanité, l’arbre vivrait toujours, et même mieux, alors que nous sans arbre, nous ne serions plus.